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Grande exposition sur Dante Gabriel Rossetti à Londres à la Tate Britain

par Pierre-Alain Lévy

Dante Gabriel Rossetti (1828-1882) est au coeur de ce mouvement préraphaélite né en Angleterre au milieu du XIXème siècle au temps de la reine Victoria. Une grande exposition lui est actuellement consacrée à la Tate Britain à Londres et qui se terminera fin septembre.

Dante Gabriel Rossetti, les préraphaélites, la peinture anglaise
D.G. Rossetti. La Ghirlandata (1873)
© Guildhall Art Gallery

C’est curieux, chaque pays a ses tropismes, et dans le domaine de l’art, celui qui nous intéresse, la capacité d’influence ce que l’on nommerait aujourd’hui en anglais dans le texte, le soft power, certains artistes, voire certaines écoles stylistiques, retentissent comme héraldiques dans leur capacité d’influence extérieure et d’identité culturelle. Shakespeare pour l’Angleterre est par exemple insurpassable pour ce qui est du théâtre.

En préambule culturel

Depuis Louis XIV en France nous apprenons (ou nous apprenions!) comme moyen mnémotechnique : «Racine, Boileau, de La Fontaine, Molière», sans oublier Le Brun, Le Nôtre, le Lorrain et autre Poussin, et nous avons continué avec le dix-neuvième siècle, puis le vingtième. N’oublions pas que se lover dans l’âme d’un pays et en comprendre son génie, ses talents, son énergie vitale et créatrice, c’est bien évidemment avec la connaissance de sa langue et de son histoire, s’inscrire dans les parcours de ses artistes, « les phares » comme les nommait Baudelaire ! Chaque pays, à commencer par l’Italie bien évidemment, a donné en partage au monde, les trésors de ses artistes et notre regard est universel, il ne pourrait en être autrement.

Bizarrement, en France en tout cas, la peinture anglaise souffre d’un dédain quelque peu inepte et elle est fort mal connue. Serait-ce donc là une conséquence subliminale de nos brouilles politiques séculaires qui ont vu s’affronter deux puissances qui ont rivalisé siècle après siècle l’une contre l’autre? Sujet d’autant plus intéressant qu’il s’éclaire aujourd’hui, autre temps, autres lieux, autres moeurs bien évidemment, des effets d’une actualité tragique.

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L’Angleterre comme protégée du continent par ses brouillards, son smog et la Manche, et chacun de part et d’autre du Channel perçoit son homologue opposé avec une curiosité exotique. Ce serait une erreur absurde de circonscrire le génie intrinsèque d’un pays à une forme seule d’expression, sauf à revenir à des remugles nauséeux d’un passé sinistre. Il n’y a pas de hiérarchie artistique, en effet il n’est rien de plus bête que le nationalisme en art et il faut prendre garde de ne pas s’y égarer.

La peinture anglaise est grande et elle est belle aussi, et avant que de développer sur l’exposition Rossetti de la Tate Britain, raison même de cet article, évoquons les noms de ces Reynolds, Constable, Gainsborough, Lawrence, Hogarth, Turner, Blake entre autres très grands talents.

la peinture anglaise
The Blue Boy (1770). Thomas Gainsborough (1727-1788) 
Huile sur toile 178×122 cm. National Gallery Londres

Mais pareillement, sachons rendre à César… Constable par exemple qui influencera le jeune Delacroix pour Les Massacres de Scio qu’il modifiera après avoir vu La charrette de foin. Évoquons aussi l’amitié d’enfance qui unit tout au long de leurs vies Delacroix et Bonington par exemple, ainsi que de la découverte que notre cher Eugène fit en Angleterre de l’art de l’aquarelle, et bien entendu, bien entendu, l’immense William Turner qui tout le dix-neuvième durant et jusqu’aux impressionnistes, Monet au premier chef, est et demeure à jamais un maître absolu.

Dante Gabriel Rossetti, une famille sous la protection des Muses

Déjà le nom et le prénom, et quel prénom, Dante, et puis une fratrie, la poétesse Christina sa soeur, et son frère William, écrivain et poète, mais aussi la personnalité d’Elizabeth Siddall ( Lizzie) qui deviendra l’épouse de Dante. C’est que la poésie compte dans cette famille, à commencer par le patriarche, un poète réfugié politique italien qui s’exilera à Londres, chacun s’y essaiera. C’est de cette famille dont traite l’exposition de la Tate Britain .

Ainsi Rossetti est né anglais, et en 1841 à l’âge de 14ans deviendra élève de Académie de dessin Strass, un établissement alors très prisé dans la capitale anglaise, avant d’être reçu à la Royal Academy trois ans plus tard. La poésie, la peinture il ne sait quoi trop choisir. Avec deux de ses amis peintres, Holman Hunt et John Everett Millais il fonde la Confrérie Pre-Raphaélite qui veut réformer la peinture anglaise et remonter aux fondamentaux tout à la fois italiens de la Renaissance et des Flandres.

D. G.Rossetti, Ecce Ancilla Domini (L’ Annonciation) (1849–50)
© Tate, Purchased 1886

En 1848 il termine sa traduction de la Vita Nuova de Dante (Alighieri bien évidemment). L’année suivante en mars Il expose sa première grande peinture à l’huile, L’enfance de la Vierge Marie. En septembre et octobre de la même année, il visite Paris et les Flandres avec Holman Hunt, et est très impressionné par l’art du Moyen-Âge et de la Renaissance. Avec ses amis préraphaélites, Rossetti fonde le magazine The Germ. En avril 1850, il expose Ecce Ancilla Domini ! à la National Institution, mais n’apparaît plus que rarement en public à la suite de l’accueil négatif réservé au tableau.

Chercher la femme

Elizabeth Siddall, poétesse elle-même était connue des peintres préraphaélites pour sa rare beauté. Millais l’avait d’ailleurs choisie pour modèle pour son Ophélie. Rossetti la rencontre très probablement en 1849.

Ophelia (1851-1852) Sir John Everett Millais (1829-1896).
Huile sur toile, 762mm/1118mm. Tate Britain. Londres 

Son visage, sa féminité, ses traits charmants fins et délicats, sa chevelure de sirène, son éducation enracinée, sa personnalité devinrent obsessionnels dans l’oeuvre et les peintures de notre Dante qui ne pouvait se passer d’elle, exigeant d’ailleurs qu’elle ne posât que pour lui. Il la croqua de mille manières. On ne peut s’empêcher d’ailleurs de rapprocher sa beauté des femmes modèles de Gustave Courbet, contemporain de Rossetti, leurs ressemblances sont frappantes.

Dante Gabriel Rossetti, les préraphaélites, la peinture anglaise
D. G. Rossetti. L’enfance de la Vierge Marie (1848-1849)
© Tate

En avril 1850, il expose Ecce Ancilla Domini. L’oeuvre de Rossetti est aussi nimbée d’une perception religieuse intense qui percole peu ou prou dans la société anglaise du moment par une reviviscence de la tradition chrétienne. À partir de 1854, Rossetti se lie d’amitié avec le protéiforme critique John Ruskin, qui a contribué à attirer l’attention du public sur les préraphaélites, et en 1855-1856 avec le poète Robert Browning.

En 1855 D. Rossetti se rend à Paris pour voir l’Exposition universelle. En 1856, il rencontre le peintre Edward Coley Burne-Jones et William Morris qui deviendra un ardent défenseur de la Confrérie préraphaélite. Cette même année, il travaille sur les peintures murales de l’Oxford Union et rencontre la couturière Jane Burden qui participe au mouvement Arts & Crafts. Jane épousa William Morris, mais cependant elle et Rossetti eurent une relation intime qui s’étendit sur plusieurs décennies, et elle posa pour certaines des peintures les plus connues de Rossetti (voir Proserpine, 1874, Tate Gallery). En 1858, Rossetti fonde le Hogarth Club, un club social et d’exposition. A la même époque il rencontre Fanny Cornforth  qui deviendra et son modèle et sa maîtresse.

Dante Gabriel Rossett épousera Elizabeth Siddall en 1860. Elle tombera enceinte lors de leur voyage de noces à Paris, mais l’enfant, né en mai 1861, meurt à la naissance, plongeant Lizzie dans une dépression qu’elle noie dans un excès de laudanum. Elle décédera peu après à 32 ans probablement du fait d’une tuberculose.

En 1863 Dante Gabriel Rossetti visite avec son frère William la Belgique avant que de revenir à Paris en 1864.

Dante Gabriel Rossetti, la peinture anglaise et les préraphaélites
D. G. Rossetti. Tête de jeune-femme (1863-1865)
Craie et fusain avec estompe. 465 x 315mm
© Cantor Arts Center, Stanford University; Museum Purchase Fund

Les années tristes

Les dernières années de Rossetti furent difficiles et douloureuses, ses yeux le font souffrir, il souffre d’insomnie et est sujet à des crises de paranoïa.

Depuis la mort de sa femme il déprime et souhaite récupérer un recueil de poèmes qu’il avait écrits ainsi que des lettres qu’il avait déposés dans le cercueil de sa défunte épouse enterrée au cimetière de Highgate au nord de Londres. Il en fait officiellement la demande auprès du ministre britannique de l’intérieur, Henry A. Bruce, au demeurant ami de l’artiste. Il obtient satisfaction à sa demande pour une ouverture du tombeau ! Le 5 octobre 1868, soit plus de 6 ans après la mort d’Elizabeth Siddall, le cercueil est exhumé. Les fossoyeurs ont retiré la dalle funéraire, ils ont reçu un pourboire en argent pour la bière. Sous un voile de soie déjà corrompu par le temps et l’humidité glaciale de la terre le carnet a été retrouvé, il est aussitôt emporté pour être désinfecté. Lorsque le manuscrit fut rendu à Rossetti soit dix jours plus tard, il déclara qu’il était « dans un état décevant mais pas désespéré», ainsi rapporta un témoin de l’événement …

Shakespeare était certainement là quelque part dissimulé dans un coin et observait, et à n’en pas douter il souriait…


Hamlet. Acte V, scène 1

Deux fossoyeurs dans un cimetière autour d’une tombe…

First clown
Is she buried in Christian burial that
willfully seeks her own salvation?
Second clown
I tell thee she is: : and therefore make the grave
straight : the crowner hath sat on her, and finds it
Christian burial…

Au fil des années qui passent la santé de Dante Gabriel Rossetti décline. Il prend régulièrement un sédatif, un psychotrope de synthèse à effet hypnotique, l’hydrate de chloral, populaire à cette époque et mélangé à du whisky pour lutter contre ses insomnies. Il est sujet à des hallucinations et entend des voix. Le chloral loin d’apaiser son état le rend encore plus dépressif, il tentera même de se suicider. Entre deux crises il continue cependant de peindre. Rossetti meurt dans la précarité le 18 avril 1882.

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Illustration de l’entête: “Lady Lilith” (1866–68, repris en 1872–73), détail. Delaware Art Museum, Samuel and Mary R. Bancroft Memorial, 1935. ©Tate Britain

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