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Un roman sur le suicide des adolescents: La souris qui voulait sauver l’ogre

par Émile Cougut

Voici un sujet d’actualité, un sujet tragique, abordé sous le biais du roman réaliste ce qui rend les problèmes auxquels notre société est confrontée encore plus prégnants. Un roman signé Françoise Guérin au titre aimable comme une fable et pourtant…. Ce qui est certain, c’est que vous ne serez plus le même quand vous aurez achevé votre lecture.

Le suicide est la seconde cause de décès pour les adolescents. Comme pour tout suicide, les causes peuvent être multiples, les conséquences terribles pour les proches qui culpabilisent, pour certains qui se voient exposer à la mort, à leur propre finitude, à la conséquence de leurs actes, à leurs responsabilités, à leur manque d’écoute, à leur égoïsme, à leur méchanceté, à leurs blessures qu’ils tentent de cacher, de se cacher, bref. Le harcèlement qui est une, mais pas la seule, des causes du suicide des adolescents n’est souvent qu’une concrétisation du mal-être des auteurs.

Maya, psychologue, fait partie de la cellule Cornelia, dépendante du ministère de la santé, chargée de comprendre pourquoi il y a eu passage à l’acte et trouver les outils afin qu’à l’avenir on puisse les prévenir. La démarche de la cellule Cornelia est celle de la médecine légale, on procède à une véritable autopsie des causes de la mort. L’inéluctable est arrivé, au lieu de laisser ce fait dans le passé, il faut que ce décès « serve » à protéger des vies à l’avenir.

Accompagnée de sa chienne (doberman), Mrs Robinson, elle part pour Sète pour enquêter sur le suicide de Pauline, en classe préparatoire dans le lycée privée la Rédemption.

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La Rédemption, un lycée «d’élite» où seuls comptent les résultats. Ceux qui ne suivent pas, on les invite fermement à trouver un autre établissement.  Les élèves sont soumis à une pression constante, seul compte le travail, pas leurs aspirations, leurs vies privées, leurs envies. La compétition est omniprésente, il faut éliminer les autres pour obtenir une des rares places qui fait basculer dans l’élite. Alors tout est permis pour réussir, de la destruction des livres à la bibliothèque au harcèlement le plus vil. En plus, plane sur l’établissement l’ombre du père Fournier chargé de l’orientation spirituelle de l’établissement. un prêtre traditionaliste pour qui il est normal de souffrir pour avancer, une sorte de rédemption. La directrice, Madame Ker est totalement sous sa coupe. Pour elle, il faut que tout se passe bien à la Rédemption, mais surtout il faut cacher la vérité quand elle risque d’inquiéter les parents (et les financiers !). Alors la prévention du suicide, les groupes d’écoute après les faits, surtout pas. Il vaut mieux parler d’accident et passer à autre chose. Quant au corps enseignant, certains subissent mais se taisent, d’autres poussent à la compétition, une minorité, comme Berthon, le professeur de philosophie, est composée de sadiques qui passent leur temps à humilier, à harceler certains élèves et à faire passer leurs idées politiques, racistes et élitistes. Quant aux parents d’élèves, ah les parents d’élèves : ils paient, sont pour la plupart d’entre eux trop pris par leur travail pour pouvoir s’occuper des aspirations voire du mal-être de leur progéniture. Il y a bien des élèves issus des classes non favorisées. Ils sont rares, à peine tolérés, le plus souvent rejetés par les autres élèves (réflexe de classe) quand ce n’est pas par le corps enseignant.

C’était le cas de Pauline. Sa mère est aide-soignante, son père travailleur handicapé. Mais grâce à d’excellents résultats scolaires, elle a pu obtenir une bourse pour la Rédemption. Élève brillante, avec une mention au Concours général de physique-chimie, elle est quand même marginalisée. Et puis un jour, elle se suicide en sautant du toit de l’établissement.

L’enquête montre une jeune fille ouverte aux autres, militante pour les sans-papiers, militante écologiste quelque peu radicale, prônant la décroissance, élue des élèves au conseil d’administration de la Rédemption où ses interventions lui valent les sarcasmes des membres, toujours présente pour combattre les injustices. Mais une jeune fille fragile, encaissant les coups sans broncher et Dieu sait s’ils sont nombreux, se faisant quelque peu manipuler par amitié. Bien sûr, elle a lancé des appels à l’aide avant son geste, mais ceux à qui ils étaient adressés ne les ont pas compris et doivent rester face à leurs remords.

Maya mène l’enquête pour essayer de démêler cet écheveau complexe. C’est un tâche ardue qu’elle aurait du refuser car elle sait qu’elle va devoir affronter les blessures de son passé. Elle est née à Sète, de parents commerçants (poissonniers), le père alcoolique violent, la mère effacée par protection. Elle a fait un an en classe préparatoire à La Rédemption où elle a souffert du rejet de ses coreligionnaires avant de fuir Sète et ses parents pour Lyon où elle a pu apprendre à vivre grâce à Simone sa logeuse. Mais surtout, le jour de ses 13 ans sa sœur jumelle, Gaëtane s’est suicidée et une partie d’elle même semble être mort avec sa sœur.

Aidée de Mrs Robinson, puis de son collègue Stanley, elle progresse et dans la compréhension de l’acte de Pauline et d’elle-même.

La souris qui voulait sauver l’ogre de Françoise Guérin est un roman qui aborde bien des causes amenant au suicide, aux ravages qu’il cause à ceux qui restent, à des blessures mettant énormément de temps pour cicatriser et encore jamais totalement. La résilience est toujours difficile, faisable mais difficile. Il faut écouter, aider, ce qui n’est, hélas, pas toujours facile pour des parents pris dans leurs douleurs où dans leurs certitudes et qui ne voient pas leurs enfants comme ils sont. Ils veulent qu’ils soient tels qu’ils les imaginent. Comment ne pas penser à ce constat de Mikki Brammer dans La liste des regrets : «Des gens nous en voyons tous les jours, mais nous les regardons rarement tels qu’ils sont réellement. Le plus terrible, c’est que nous nous rendons coupables de ce crime envers nos proches. La routine s’installe et nous les voyons comme nous les avons toujours vus, sans regarder les personnes qu’elles sont vraiment, qu’elles sont devenues, qu’elles aspirent à être.». Tout est dit !  

La souris qui voulait sauver l’ogre
Françoise Guérin
éditions Eyrolles. 19€90

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