Dora Maar sombre et mystérieuse

par Pierre-Alain Lévy

Des nombreuses femmes que Pablo Picasso a aimées, Dora Maar est certainement l’une des plus intéressantes, les plus secrètes, et sa vie, illuminée de l’intérieur par sa rencontre avec l’artiste apatride en fut bouleversée.

Dora Maar femmes de Picasso
Portrait de Dora Maar aux petites mains par Man Ray. 1936

Que n’a-t-on écrit effectivement sur Picasso et ses femmes, de nombreuses expositions thématiques, de nombreux livres ont exposé cette relation que le maître avait eu avec ses différentes compagnes et sur l’amour qu’ils eurent à partager. Dionysiaque, bien entendu quand on est soi-même Minotaure, mais aussi passionnelle et électrique.

C’est en 1935, à St Germain des Prés aux Deux Magots, que Picasso rencontra Dora Maar, qui lui fut présentée par le poète Paul Éluard. Elle est belle, brune, mystérieuse, les yeux sombres, le regard de braise, elle est photographe. Ils s’étaient déjà croisés auparavant. Ils ont des amis communs, Jean Renoir, le photographe Henri Cartier-Bresson avec qui elle avait fait des photos de plateau sur le tournage du film « Le crime de Monsieur Lange ». Leurs conversations bruissent de propos inquiétants, l’Allemagne, le fascisme italien, Hitler, Mussolini, bruits de bottes en Europe. La Guerre d’Espagne éclate le 17 juillet 1936. Politique de non-intervention, faillite des démocraties Royaume-uni et France.

Espagne, champ de manoeuvres pour l’aviation hitlérienne. Ce sera Guernica petit village du Pays-Basque bombardé un jour de marché par les avions allemands et italiens. Les Stukas à la manoeuvre, sirènes hurlantes, lâchent leurs bombes et mitraillent. Terreur des populations, massacre des innocents.

Ces faits d’histoire résonnent amèrement aujourd’hui avec la guerre en Ukraine et l’infamie de l’armée russe de Poutine qui lance ses missiles sur la population civile. Immeubles réduits en ruines, crimes de guerre. Quel électrochoc faut-il donc pour que les Russes se réveillent de ce cauchemar inepte, monstrueux et sanglant !

Dans l’atelier des Grands-Augustins, Picasso est à ses pinceaux, Guernica devenue toile du maître prend forme. Picasso qui s’est opposé au régime franquiste va faire acte de foi, ce sera un cri de peinture, une déchirure violente, un hurlement de douleur. Apocalypse, bestiaire d’une mythologie barbare réinventée. L’on dit que Dora Maar y servira de modèle. Elle sera le témoin attentive de la progression de l’oeuvre dont elle prendra de multiples photographies

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Dora Maar Femmes de Picasso
Photographie prise par Dora Maar de Guernica dans l’atelier de la rue des Grands Augustins. 1937.

Dora Maar / Picasso, une relation complexe, à certains égards toxique. Devenue muse et inspirante elle pose pour son amant d’artiste. «Je n’étais pas sa maîtresse, c’est lui qui était mon maître» dira-t-elle. Elle est fragile, susceptible, d’une sensibilité quasi maladive, le moindre mot fort de l’homme qu’elle aime et elle tombe en sanglots. Ce sera «La Femme qui pleure» dont Picasso peindra plusieurs versions. Elle idolâtre, son seigneur et maître. Chaque mot, chaque geste, quoi qu’il fasse, elle devient la grande prêtresse d’un culte exclusif. Il griffonne un croquis sur une nappe de papier, il triture une capsule de laiton d’une bouteille sur une table d’un restaurant et la transforme sous ses doigts en cocotte, aussitôt dès qu’il a le dos tourné, elle récupère « la production » du peintre comme autant de talismans sacrés! Leur relation est chaotique, avec parfois aussi des cris et chuchotements et une grande part d’ombre.

En mai 1943 Picasso rencontre Françoise Gilot, la rupture avec Dora Maar sera consommée quelques mois plus tard. Dora Maar vacille, tombe en dépression, le début d’un chemin de douleur dont elle ne se remettra pas. Internement psychiatrique suivi de thérapies difficiles à supporter, elle terminera sa vie dans le Lubéron dans une propriété que Picasso lui aura achetée. Recluse, en proie à des crises de mysticisme, oubliée de tous, elle meurt le 16 juillet 1997.

article publié initialement le 19 janvier 2023

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Illustration de l’entête: Pablo Picasso, Dora et le Minotaure, 1936. Encre, crayon, 40,5cm/73,5cm © Musée Picasso, Paris, RMN

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