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Allah au féminin ou la présence de la femme dans l’Islam

par Pierre de Restigné

Avant tout, il faut bien comprendre qui est l’auteur de cet essai. Eric Geoffroy enseigne l’islamologie à l’Université de Strasbourg. C’est un vrai intellectuel, membre du conseil d’orientation de la Fondation de l’Islam de France, spécialiste du soufisme, il a créé et préside une association : « Conscience soufie ». Auteur de nombreux ouvrages, il participe régulièrement, le dimanche, à l’émission sur le service public, consacrée à l’Islam. 

Les analyses qu’il fait de l’islam, qu’il vit à titre personnel et qu’il enseigne, sont donc passées au filtre du soufisme à travers toutes ses composantes aussi bien sunnites que chiites (car il y a aussi des courants soufis au sein du chiisme ce qui est moins connu). C’est dire que nous sommes très, très loin des interprétations de Coran diffusées, distillées dans les médias et autres réseaux sociaux qui sont totalement faussées par le discours wahhabiste, cette secte qui a réussi en Arabie Saoudite et qui est diffusée grâce à la puissance financière issue de l’exploitation du pétrole.

On est loin, très très loin d’une lecture, partiale, partielle et obvie du texte fondateur, mais dans la recherche de son sens caché. Bien sûr, la démarche est difficile, lente, pleine d’embûches et les certitudes toutes faites, les réponses aux questions que se posent tout un chacun, sont loin d’être évidentes, « toutes faites » donc.

Et de fait, contrairement à ce que véhiculent, les salafistes et ceux qui sont totalement intoxiqués, souvent sans en avoir conscience, la place de la femme dans l’Islam est loin d’être anodine. Même si le soufisme a été victime du machisme qui a prévalu en Islam depuis le XVI siècle, il n’en fut pas du tout ainsi au début de cette religion et le soufisme s’ouvre de plus en plus pour laisser une place centrale à la femme dans la communauté des croyants.

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Tout d’abord, la personne qui a le plus de  récurrences dans le Coran, après Mohammed, est Myriam, la vierge Marie. Même les théologiens les plus traditionalistes, lui reconnaissent une place privilégiée ! Les longs développements que nous livre Eric Geoffroy sur son importance, le parallèle avec Eve sont d’une grande évidence. 

Ensuite vient Khadîja, l’épouse du prophète, d’une importance fondamentale. C’est elle qui le rassure après les premières apparitions de l’archange Gabriel, c’est de fait la première croyante, le premier croyant de l’histoire. Et que dire, pour l’Islam de l’importance d’Âsiya, la fille de Pharaon qui sauve Moïse, de Fatima, et de tant d’autres qui ont marqué de leur charisme, de leurs savoirs, les débuts de l’Islam.

Mais au delà, Eric Geoffroy fait une analyse fine des textes et de leur ambiguïté : ainsi, par exemple, une vertu de l’Homme (expliquant sa supériorité sur la femme) est sa faculté rationnelle aql عقل‎. Mais ce terme en arabe, signifie aussi entrave : l’homme est donc perçu comme entravé dans sa recherche du divin par sa rationalité, alors que la femme, elle n’est mue que par l’Amour divin primordial, elle est libre d’entraves.

Certes, l’on sait que pour qu’un témoignage soit valable il faut deux hommes ou un homme et deux femmes. Certains voient là l’idée qu’un homme vaut deux femmes. Sauf qu’ils oublient la fin du verset qui précise qu’il en faut deux parce que si la première a oublié, la seconde non. Donc, il y a toujours une femme qui sait, le doute est constant en ce qui concerne les hommes.

Encore plus pertinent, pour un non musulman et non arabisant comme moi, est le passage sur La récurrence du caractère féminin de Dieu : chaque sourate commence par « Au nom de Dieu, le Tout Miséricordieux (« Rahmân » الرحمن) le Très Miséricordieux (« Rahîm ») ». Or, la racine sémitique RHM ر ح م‎ signifie l’utérus, la matrice féminine.. Et il n’est pas difficile de trouver dans tout le texte sacré des allusions sur la fonction protectrice, maternelle de Dieu.

Eric Geoffroy reconnaît sans mal que, même chez les soufis, l’image de la femme s’est dégradée. Ce courant, comme bien d’autres, défend l’idée que le saint est toujours affublé de la pire des mégères acariâtres et qu’une partie de sa sainteté provient à sa capacité à la supporter. Mais depuis le XIX siècle, avec Abdel Rader qui fut avant tout un immense humaniste, digne héritier de la pensée d’Ibn ‘Arabî et de Rûmi,  l’image de la femme va évoluer dans l’univers soufi. 

Éric Geoffroy nous livre dans sa dernière partie des portraits de femmes qui son en train de révolutionner l’islam, (à l’instar de Delphine Horvilleur qu’Eric Geoffroy se plaît à citer et qui fait évoluer le judaïsme) : des théologiennes comme Afra Jabri, des imames comme Sherin Khankan et des guides spirituelles, piliers de la transmission du savoir, de la spiritualité soufi comme Cheikha Nûr en Turquie.

À cet égard, il faut savoir que la particularité de la plupart d’entre elles, et ce contrairement à ce qui a pu se produire dans le passé, consiste en ce qu’elles ont été nommées à cette responsabilité, non de par leurs liens de parenté avec leurs prédécesseurs, mais du fait de leur savoir et de leur charisme.

A l’heure où j’écris ces lignes, nous sortons de la période de la Pâque chrétienne. Le message christique n’est possible que grâce à la Résurrection, et la première personne qui reconnaît Jésus revenu de la mort est Marie-Madeleine, une femme. Les apôtres, des hommes, ont eu, selon les évangiles, bien plus de mal à accepter la Résurrection. Une nouvelle interprétation sur le rôle de la femme dans l’univers chrétien est à entreprendre à l’instar de ce que les soufistes sont entrain de faire pour l’Islam.

Eric Geoffroy est enseignant, et, quand on le connait, on s’aperçoit vite qu’il écrit comme il parle : c’est limpide, on va droit dans l ‘évidence et surtout, il sait non vulgariser les textes sacrés de l’Islam, mais les rendre accessibles à tous, mêmes pour les non musulmans.

Il est regrettable que la pensée faite d’Amour et de tolérance, qu’il défend soit, trop souvent, ignorée au profit d’une caricature mortifère de l’Islam.

Allah au féminin
Éric Geoffroy
éditions Albin Michel. 19€

  • Illustration de l’article : peinture persane- Livre des Rois شاهنام. – Iran 1648. Jeune femme portant une coiffure indienne

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